Qui suis-je ? où vais-je ?
Les automatismes, l’habitude constitue le conditionnement de la pensée humaine. La force d’habitude est d’autant plus insidieuse qu’elle agit d’une manière inconsciente et souvent au détriment de l’individu. Cependant, si certaines habitudes ont des effets bénéfiques, d’autres sont perverses. En ce qui concerne les habitudes bénéfiques, il faut mettre en exergues les automatismes de la conduite, de taper sur un clavier sans regarder les lettres, tout ce qui fait gagner du temps dans l’exercice de sa profession par exemple. Ceci dit, la vigilance ne doit pas être exclue, bien au contraire. Cette mémoire manuelle doit permettre à l’esprit de vivre dans le présent. Si on reprend l’exemple de la conduite, les mains et les pieds savent ce qu’il faut faire sur la route, par contre l’esprit doit toujours être là sur ce qui peut – au moment présent – arriver et être toujours en alerte lors de l’imprévu potentiel. Les automatismes corporels feront ce qui doit être fait pendant que l’esprit trouve la meilleure solution au moment présent.
A l’analyse, c’est toujours l’esprit qui commande – bien ou mal – la direction des automatismes mentaux.
A-t-on conscience que, très souvent, nos actions en cours sont tributaires d’une mémoire enfouie ? Que nous allons souvent réagir – et non agir – par rapport à un passé dans nos opinions, nos actes ? Est-ce-que l’on se pose la question systématiquement lorsqu’un choix se présente à nous de savoir si aujourd’hui ce choix est bon alors qu’hier ce même choix était mauvais ? Non ! Nous répondons à des stimuli d’une manière émotionnelle et non raisonnée. Or toutes les fois où notre mental projette un cliché mémoriel du passé trahissant un attachement à celui-ci, notre conscience s’en trouve déchirée. Combien de fois nous nous sommes surpris à hésiter entre deux possibilités dont l’une nous ramenait au passé alors que nous avons la l’opportunité d’être différent aujourd’hui ? Hier, la situation était ce qu’elle était avec un contexte particulier et aujourd’hui les éléments sont devenus tout autres, et pourtant, nous avons l’impression de trahir quelque chose : notre jeunesse, nos parents, une des catégories socio-culturelles de notre appartenance, notre Obédience, la coutume implicite de notre Atelier et que sais-je encore ?
Cette tension engendre le « moi je» car il faut bien choisir et tout choix divise alors que nous recherchons l’unité. Dans un groupe, les « je suis » individuels et individualistes vont-ils s’aider entre eux à se comprendre et s’enrichir mutuellement ou le « je suis » va-t-il céder aux autres et s’appauvrir ? apprendre à se renforcer en renforçant l’unité du groupe, de l’ensemble comme une cellule du corps qui a une vie propre (sans pouvoir se passer du corps) et dont le corps ne saurait se passer ? C’est-à-dire gérer une interdépendance équilibrée. On apprend cette notion aux élèves de management.
La fonction de la mémoire ne consiste pas à accumuler des souvenirs, des données, des automatismes, des habitudes, des addictions, des…., mais à comprendre le processus de son fonctionnement afin de s’en rendre le maître. Il faut savoir mourir à notre passé afin de vivre dans le présent. Cependant pour que meurt ce passé il est nécessaire d’en prendre conscience, d’éclairer cette part de ténèbres qui agit à notre insu, au détriment du « je suis ». La mémoire ne peut mourir au sens propre du terme, un souvenir quel qu’il soit, bon ou mauvais, reste là, simplement il n’est plus opérant (s’il est exorcisé et dépassé) et c’est cela l’important. Celle-ci reste une trace, une empreinte dans la vie de l’individu, une expérience. Etre délivré de l’emprise de notre passé autorise l’individu à recouvrer sa liberté face au déroulement des processus « causes-effets » plus ou moins inéluctables et prévisibles qui ont fabriqué le « moi je ». Ce « moi je » est-il conforme au « je suis » ? Essayons d’y voir plus clair.
Pour répondre à cette question il nécessaire de remonter à la source de notre naissance. Car avant de naître, il y a eu la procréation, la méiose qui est l’apport des 50% du patrimoine génétique et psychologique de chaque parent. A partir du zygote (cellule-œuf) issu de la fécondation, de nombreuses mitoses vont former un embryon qui deviendra le fœtus. Après la naissance l'enfant passe par un stade jeune et ce n'est qu'après la puberté et pendant sa vie adulte qu'il y aura maturation de ses gonades (glandes sexuelles) qui produiront des gamètes (cellules reproductrices: spermatozoïdes ou ovocytes). Les gamètes transmettent le matériel génétique (chromosomes) d'une génération à la suivante : ce matériel peut être étudié en réalisant un caryotype. Celui-ci est constitué de l’ADN et l’ARN.
Il est important de savoir que l’ADN ne renferme pas uniquement notre bagage physique comme notre couleur de cheveux ou des yeux, notre amour pour les maths ou la philo, ou l’explication de notre fort QI qui nous vient du…. Ou de….. Anne Ancelin Schützenberger professeur à l’Université de Nice nous explique aussi que la mémoire de l’ADN renferme les petits - ou vilains - secrets de nos aïeux. Aïe, Aïe, Aïe !
Et nous voilà à notre naissance avec notre inné. Tout à fait semblable à un appareil enregistrable – particulièrement performant - qui va inscrire tout ce qu’il voit, entend, sent, touche, goûte et aussi l’ambiance dans lequel il se trouve. Tout cela sera archivé. L’individu progresse dans sa connaissance en comparant toute situation nouvelle avec une situation ancienne vécue, par nous même ou un proche. La qualité de cette mémoire ancienne influencera aussi, plus ou moins fortement, la vision de la situation vécue présentement.
Si par analogie, nous comparons notre cerveau à un appareil enregistrable, sa composition est faite d’éléments ayant des propriétés spécifiques, il en est de même celles que nous donnent nos parents et ancêtres. Bien que neuf cet appareil – ou nos cellules – réagit à l’environnement ambiant et en modifie et/ou en renforce « le récepteur ». Ces traces laissées sur la cellule se nomment engrammes et vont automatiquement agir sur la conscience de l’individu comme une paire de lunettes de couleur plus ou moins déformante. Face à une donnée, chacun voit sa vérité propre, ou un aspect différent. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer une Tenue lorsque la Parole circule.
Tout ce que nous voyons et ne voulons pas voir, tout ce que nous entendons et ne voulons pas entendre, etc., s’inscrit dans les neurones sous l’action cérébrale. Ainsi s’accumulent les engrammes qui se transmettent de cellules en cellules en dépit de leur renouvellement, perpétuant, à notre fort défendant, les mémoires d’habitudes de notre « moi je ». Cependant, en prenant conscience de…., à l’occasion d’une abréaction, ou en changeant consciemment de pensée, ou passant d’un mode de pensées négatives à un mode de pensées positives, survient la naissance véritable du « je suis » transforme l’individu et les nouvelles cellules prendront en compte ce nouvel engramme. Dans ce processus, un fait retient notre attention : il est une unité de direction – une cohérence apparente – dans l’œuvre dégradatrice de la force d’habitude. Chaque mémoire nouvelle se trouve instantanément conditionnée par l’ensemble des mémoires anciennes. De fait il est nécessaire de persévérer afin de changer les forces d’habitudes. Ce n’est pas la mémoire du « fait vécu » qui est le plus important, c’est le fait ET l’émotion de ce fait qui sont archivés et restera, en souvenir seulement le ressenti de l’émotion. C’est cette trace de l’émotion qui va ressurgir et agir sur le présent de demain, lorsqu’un nouveau fait semblable sera réitéré. (Effet rebond ou effet élastique étudié par Daniel Wegner).
Toutes les activités de l’esprit – formatées par les forces d’habitudes - s’inscrivent dans un cycle rigide. La tâche urgente qui s’impose à l’homme consiste donc à briser celui-ci. Il serait utile que chaque Compagnon, comme le faisait leur prédécesseur qui taillait leur pierre, utilise « la sub ascia », cette hache à double tranchant, outil sacré des maîtres tailleurs de pierre. Cet instrument distingue l’initié qui a réussi à trancher les liens qui l’unissaient au monde profane. Il a équarrit ses passions en taillant dans le vif se rendant perméable ainsi à toute idée du dynamisme de la vie. La hache fend le bois mystique, elle permet l’ouverture du centre pour en délivrer le contenu caché ésotérique, le monde de la lumière. (Les Sites magiques de Provence – Guy Tarade)
N’est ce pas ce travail que devrait entreprendre tout nouvel Initié ? Le savoir n’est il pas le début de la Sagesse ? Est-ce que ce phénomène est pris en compte par les Frères de l’Atelier ? Encore faudrait-il qu’ils en soient conscients. Si c’était le cas, ce que perçoit et reçoit le nouvel Initié serait semblable pour le profane, que j’imagine comme un seau d’eau trouble, qui serait mis sous le robinet d’une eau propre et salvatrice, permettant à cette eau trouble de trouver son calme et devenir elle-même pure. Faut-il encore que l’eau – la parole des Frères – soit exempte d’ego, de conditions d’appartenance à …. repoussant l’autre groupe comme étant …, mais tolérante, fraternelle et pleine d’humilité. L’ambiance de la Tenue dans le Temple conditionne les perceptions du cerveau de chacun, il ne faut pas l’oublier.
Sans ses pensées, le penseur n’est pas. Pour qu’il y ait pensée, il faut avoir conscientisé ce qui est enfoui dans l’inconscient, sous forme de mémoire, de symboles, d’archétypes. Et l’homme sans pensées, qu’est-il ? Un être dominé par les forces d’habitudes qui répond aux sollicitations de l’instinct…., des désirs inconscients ?
Le siège de la pensée est le cerveau. Considérons-le comme un point, d’un centre de perception doué d’une sensibilité prodigieuse. Imaginons-le, par exemple, comme un appareil capable d’enregistrer toutes les perturbations électromagnétiques, toute modification. Cet appareil est dénué de personnalité, et pourtant va tout enregistrer, autour de lui comme un magnétophone enregistre tous les bruits environnants. C’est fabuleux ! A peine né l’instant vécu prend place dans le système de la mémoire, du souvenir. Le voici enregistré, déposé, classé, comparé, reconnu et momifié. Désormais il repose quelque part, dans la trame des engrammes d’où la mémoire saura, au besoin, l’exhumer. La continuité vraisemblable du moi défini par ses attributions physique et psychique –voir K. Lorenz et Freud – ne repose-t-elle pas sur ces inscriptions sur la substance nerveuse ? Qu’en est-il de la qualité du support ? L’entrecroisement des souvenirs, avec leur infidélité, leurs parasites, les courts-circuits tissent à travers la masse organique un sous-produit graphique : le « moi-je ». Combien de commissaires de police lors d’interrogations poussées de différents témoins, se sont-ils vus confronter à cette difficulté alors que chaque témoin est sûr de lui, de ce qu’il a vu, entendu, etc. ?
Sur ce qui n’était qu’un simple processus impersonnel, non individualisé, de perception pure, une entité – un « moi je » – s’est édifiée. Notre ego omniprésent, ce mystérieux plan de référence – le nôtre – qui réussit à s’insinuer partout, absorbant et revendiquant pour lui toutes activités, tous jugements de sa conscience, est-il autre chose qu’une somme d’expériences relatives ? Que j’eusse aimé me poser la question ce 12 avril dernier lorsque le Vénérable Maître me catalogua de « frontiste » – ouf ! pas moins.. Or le Vénérable Maître est la Lumière de la Loge , il était entouré de tous les Maîtres de cette Respectable Loge auréolés de leur savoir acquis dans les Loges Supérieures, mais, pour conforter leur propre ego, ils devaient se conformer à….. l’illusoire vérité affirmée par un Vénérable Maitre, connu et reconnu par ses pairs pour son conditionnement comportemental psychorigide. Certains Frères qui ont vu naître cette Loge ont été choqués par cet incident. Nous sommes très loin du caractère initiatique voulu et impulsé par les Fondateurs de cette Respectable Loge Mère. Ce qui prouve, que la vigilance ne doit jamais se relâcher. Mais dans ces Ateliers, ce qui est dit n’est pas forcément ce qui est fait. C’est pourquoi l’on peut dire que le Rite pratiqué dans cet Atelier, cette « porte » vers l’ailleurs, a été vidé de toute sa substance magique pour devenir une force d’habitude aussi perverse que toutes les autres.
Portons une attention sur le fonctionnement du cerveau. Il est le lieu où s’élabore l’image de notre « moi je», toutes nos représentations mentales. Et pourtant ce n’est qu’un amas de cellules nerveuses formant un réseau complexe de synapses où leur action se transforme en un flux de phénomènes électriques et de continuelles dépolarisations et repolarisations à la vitesse de l’éclair. C’est finalement un pur champ d’énergies où se jouent les interférences d’ondes captées par tous les sens. Il y a là non la place à un moi statique et des images figées mais bien une réalité dynamique du mouvement. Que devient le « moi je » dans ce champ d’énergie ? Il est le point de conscience, ce point d’insertion entre ce champ d’énergie et l’extérieur comme la rétine est précisément le point d’insertion du nerf optique qui est aveugle alors que l’œil voit tout sauf lui-même. Notre faculté de connaissance est entièrement dirigée vers l’extérieur, vers le physique, vers le concret, non vers nous-même…. notre intériorité, notre « je suis ».
C’est pourquoi il est difficile de savoir pour soi même ce que nous sommes. Notre individualité ne peut être visible que dans le regard de l’autre. Non pour se mesurer à qui est le plus… haut, le plus fort, le plus gradé, le plus…( ?) que l’autre. « Si je te domine, j’existe, pas vrai ? » Mais pour qu’il nous serve de miroir pour mieux nous situer par rapport à nous même, pour mieux nous aider à grandir…. N’est-ce pas là une des caractéristiques bénéfiques du Temple où chacun dit sans contrainte et sans jugement afin d’en mesurer la progression de sa connaissance initiatique ? Il est l’endroit par excellence, s’il est bien compris, où le Maçon va limer sa force d’habitude – sa pierre – qui s’exprime par des automatismes mentaux afin de se dégager de son emprise. Il devrait avoir là, à sa disposition, une atmosphère, une ambiance propice pour aborder sa vie d’une manière neuve, différente. C’est l’endroit privilégié où le Maçon se retrouve face à lui-même et avec les autres, ses Frères. Il n’y a rien de saint dans ce quadrilatère, c’est l’esprit des Frères qui le rend miraculeux tout comme peut l’être une salle d’accouchement propice à donner la naissance, un nouvel être.
Pour la plupart d’entre nous le « mot » est devenu la « chose ». Or les mots ont une influence énorme dont l’action s’étend non seulement au domaine mental, et aussi à ceux de l’émotion et des nerfs. Le mot, la scène, l’emplacement dans l’espace peuvent être des charges émotionnelles particulièrement importantes. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un petit tour dans le « groupe action à Castrum» qui a pour objet de dynamiser les Frères et Sœurs et leur faire découvrir en eux les moyens de rebondir dans la vie économique. Il faut reprendre les travaux de Edward Twitchell Hall qui nous quitta le 20 juillet 2009 pour ceux qui n’ont pas vécu une session au Groupe Action. Il y a là une véritable renaissance à eux même, un auto-accouchement, et parfois initiatique pour certains…. Certains mots comme « pardon- succès- etc » déterminent une résonnance nerveuse et psychique considérable et salvatrice. Souvent, il ne s’agissait que de prendre conscience du caractère mécanique, automatique des réactions que suscitent en nous les mots, voire de non-dit qui en disent plus long que les « maudits ». Nous nous rendons compte, ici dans le groupe Action, mais non dans le Temple malheureusement, que les contenus mémoriels sont en grande partie formés par des mots, l’espace et bien autre chose, et sont intimement associés à des états émotifs. Malheureusement, nombre de Maitres pratiquant le REAA semblent imperméables à la magie du Rite. Un simple croquis présenté à certains a eu l’effet d’une découverte, d’une révélation. Alors qu’il aurait du être une évidence à leur grade.
Mais pour de très nombreux Maçons sincères, les termes « amour universel », « fraternité », « mes Frères me reconnaissent comme tel » « que cette lumière nous éclaire » « le Vénérable Maître siège à l’Orient….. il représente le foyer de concentration des pensées et des énergies des Frères de la Loge » ne sont qu’un simple complexe d’automatismes mémoriels enrobés dans la saveur agréable d’une douce quiétude malheureusement corrompue par le rythme de l’habitude. A chaque fois que l’on prononce le terme Orient, a-t-on en tête le terme « orientation » ? A chaque fois que l’on sert le terme « fraternité » a-t-on en tête que nous avons tous la même origine ? et que dire du terme « lumière qui nous éclaire », qu’ôter cet attribut à l’un d’eux est une atteinte grave. Que cataloguer un Frère de… est une atteinte forte à sa personne, au « je suis » qu’il est. Il est important d’en prendre conscience si l’on veut être un Maçon reconnu comme tel. Le Tablier ne fait pas un Maçon, combien l’oublient ? On ne peut être reconnu comme tel avec un comportement de chef de bande qui sévit dans une cour de récréation accompagné de toute sa bande. (je me suis retrouvé, tout enfant dans le bac à sable face à un petit caïd). Tout mot peut être ‘chosifié’ et perdre de sa valeur ou valorisé lorsqu’il est accompagné de son symbolisme, de sa signification, de sa représentation qui peut être différente d’un individu à un autre. Le mot ne peut être, dans certains endroits comme le Temple, utilisé sans précaution. Chaque mot dit peut être salvateur ou maudit.
Si le profane accepte les épreuves de l’initiation c’est qu’il est, lui, conscient de quelque chose qui lui manque pour devenir autre. En fait, des mots, des comportements, des attitudes profanes et parfois égoïstes qu’il pouvait avoir, il accepte de « laver » ses mémoires d’habitudes automatiques passées afin de libérer ses impulsions créatrices d’une réalité se renouvelant d’instant en instant. C’est donc à chaque instant présent que l’Apprenti, le Compagnon lavera ses mémoriels, que nous avons tous plus ou moins, afin de rendre disponible la « perception de ce qui est, ici et maintenant. » et vivre l’instant présent afin que des profondeurs – V.I.T.R.I.O.L. – monte à la surface de notre conscience et s’exprime par nos pensées, nos mots, nos actes. C’est là que le Maître dépasse son « moi-je », et devient « Je suis » s’il a dépassé ses forces d’habitudes, sinon, il s’approprie sans gloire son grade avec l’aimable complaisance des Lumières de la Loge.
Ceci signifie qu’il nous est nécessaire de nous dépouiller des résidus de la force d’habitude, ceci signifie que nous, jour après jour, mois après mois, années après années, d’Apprenti à Maître, sans relâche, polissons notre Pierre en toute humilité. Oui, parfois, l’âpreté du geste relâche, c’est que le chemin est long. Telle est la raison profonde de la vigilance constante que nous suggèrent d’adopter tous les Maîtres authentiques. Tel est l’enseignement que continue à me prodiguer mon Vénérable Parrain que je remercie ici. Merci Guy Tarade, mon Frère et Ami.
La vigilance est la voie qui mène à l’immortalité, la négligence qui conserve vivant les automatismes mentaux est la voie qui mène à la perte de soi. Cette vigilance est une vigilance d’attention. Cette notion est importante. « Attention » amène à une notion d’éveil – être en éveil – comme dans l’écoute active que l’on a devant son Frère qui se révèle à lui-même, où tous les sens sont alertes. Cela n’a rien à voir avec une vigilance de volonté ou d’une discipline personnelle. Lorsque le Maçon taille sa Pierre, il s’affranchit des contenus mémoriels – ses forces d’habitudes - de l’homme profane qu’il était et qui reste au fond de lui malgré tout. Je reprends ici l’analogie avec le profane qui vient frapper à l’entrée du Temple avec son seau d’eau trouble. A l’écoute des Maîtres de sa Respectable Loge, c’est comme s’il mettait son seau sous le robinet d’eau pure et, au fil des semaines, l’eau de son seau devient claire mais il reste au fond un lit de sable qui n’est autre que les restes de ses mémoires de conditionnement mental. Il est devenu un autre homme, il ne s’identifie plus à cette eau trouble initial, il n’est plus attaché à celle-ci.
Ce fond de sable est, comme la mémoire, absolument nécessaire à la vie de tous les jours. Si nous l’effacions, comment retrouverions-nous notre chemin ? Cependant, dans la mémoire, il y a le fait – le chemin à suivre comme d’habitude – et l’identification et une association psychologique que ce chemin a pour nous. Il en va de même avec l’action d’écouter le Rite de l’ouverture des Travaux comme un fait, c'est-à-dire comme un ronron sécurisant. On ne peut, alors, polir sa pierre, reprendre force et vigueur au Travail sans cette vigilance toute éveillée. Le degré d’implication n’est pas le même ni d’ailleurs le résultat. Reprenons un autre exemple. Un architecte peut, grâce à son savoir mathématique et mécanique construire un pont, il utilise sa mémoire factuelle, d’automatisme mental. C’est normal. Mais si, se promenant sur le pont avec des amis, il s’en vante, il abuse et dépasse le rôle de sa mémoire d’automatisme mental pour se donner de l’importance. Il fait un amalgame entre le fait et sa signification… entre Etre et l’avoir. De même que le Vénérable Maître qui réunit une commission de Maîtres afin de rendre justice sur un frère soupçonné de trahison par une soi-disant démonstration politique virulente (par exemple) et l’accuser, amalgame « fait et signification – Etre Maître et Avoir la décision », l’individu prend la place du symbole pour se mettre en valeur ? vis-à-vis de lui-même ? vis-à-vis des autres Maîtres qui l’assistent ? Surement au détriment d’un de ses Frères qu’il ulcère gratuitement. Il détruit la valeur du symbole du Maître, dont un Vénérable sait faire à bon escient le distinguo. Si celui-ci avait fait une simple enquête, il ne se serait pas fait mettre en situation de non-Maître. Ce qui pour un Vénérable Maitre à l’Orient, est une gageure ridicule.
Notre cerveau enregistre de la même façon les mémoires acquises ou héritées, individuelles ou collectives, conscientes ou inconscientes. C’est un fait, il faut en être conscient et vigilant. Nous sommes des processus vivants et possédons une faculté d’agencement, de choix, d’association entre les différents enregistrements de nos engrammes. Ces enregistrements mémoriels se déroulent en nous au rythme d’une simple habitude, de simples automatismes rigoureusement inscrits dans les limites du connu, ce connu qui est terré dans notre inconscient biologique, culturel et personnel. Malgré que nous ayons appris à faire le pas du Compagnon, nous nous évertuons à aller du connu au connu, dans le cadre de nos acquis, modifiant une découverte par une nouvelle idée qui devient une nouvelle découverte. Le monde des applications informatiques nous en démontre l’extraordinaire foisonnement. En effet chaque prétendue « invention » est potentiellement contenue dans l’ensemble des acquis ou données qui l’ont précédée. Et si même l’ordinateur fait ses calculs plus rapidement que le cerveau, il ne reste qu’une machine sans âme.
L’homme libéré peut accéder à l’inconnu divin, au V.I.T.R.I.O.L., il est dégagé de tout égoïsme, de tout conditionnement psychologique, il EST, sans dieu ni maître selon la formule consacrée. La liberté spirituelle n’existe que lorsque cessent nos conformismes, nos habitudes, nos automatismes non conscients.
Laissez-moi reprendre un extrait de la Citadelle de Saint-Exupéry :
Il n’est pas que des logiciens, des historiens et des critiques que de n’accepter du monde que ce dont ils savent faire des phrases.
Car je pense moi, que toi, petit homme, tu commences seulement d’apprendre un langage et tâtonnes et t’y exerces et ne saisis pas encore qu’une mince pellicule du monde.
Tu appelais liberté ce pouvoir que tu as de démolir ton temple, de mêler les mots du poème… liberté de faire le désert.
Et où te trouveras-tu ? Moi j’appelle liberté ta délivrance.
Je connais deux sortes d’hommes qui me parlent d’un empire neuf à fonder. Celui-ci est logicien et construit par l’intelligence et je dis son acte utopie. Et il naîtra rien, car il n’a rien en lui.
Et l’autre qu’anime une évidence forte à laquelle il ne saurait donner un nom…. Celui-ci n’a pas agi par l’intelligence mais par l’esprit. C’est pourquoi je te dirai que l’esprit mène le monde et non l’intelligence »
Oui, heureux le Maçon qui comme l’Hermite est un cherchant. Il porte en lui la mémoire de l’homme. Armé du bâton, il nous rappelle que tout est vibration. Il est dépositaire d’une connaissance infinie qui lui confère un rôle de Maître et donc de Sage. Cette connaissance qu’il perçoit à l’intérieur de son âme, il est prêt à la transmettre à son tour. L’Hermite parle peu, il montre le chemin, il éclaire la route. Il fait alliance avec l’autre parce qu’il y a alliance d’abord avec soi-même. Faut-il le rappeler, souvent ce que l’on rejette chez l’autre, est très proche de ce que l’on rejette en soi-même. A contrario, nous recherchons dans l’autre ce que nous aimons en nous, une part manquante dont nous éprouvons la nostalgie comme le souvenir d’un être qui s’est momentanément absenté mais qui a laissé dans nos cellules une trace de son passage.
Les Compagnons sur le chemin de Compostelle tout comme les Maçons en Atelier cheminent et font alliance sur une force réciproque d’appui et sur un objectif conscient qui transcende les intérêts ou motivations individuels. Tous sommes alliés pour faire « quelque chose » ensemble dont nous n’avons pas toujours la claire compréhension. Nous sommes alliés dans le but d’utiliser la puissance particulière de notre fraternité et tirer profit des leçons données par l’expérience du quotidien. La Fraternité est une école qui forme à éveiller l’esprit, l’âme et le corps de l’homme.
On ne se « met pas ensemble » parce que l’on aime, on se « met ensemble » pour apprendre à aimer.
Au groupe Action, j’ai appris la fraternité inconditionnelle, à Lumière d’Ecosse, j’ai appris la solitude, l’intériorité, l’humilité et aussi la délivrance.
J’ai dit.
Louis Peyé Le 5 juillet 2010.