1° LES PIEGES DE LA DECISION
Prenons un exemple concret où nous sommes concernés directement dans la décision ou pas :
- Sur la plage imaginons qu’un voleur s'approprier un objet appartenant à notre voisin, on déplore le fait mais on n’intervient pas.
- Si au restaurant une personne inconnue, nous demande de veiller à ses affaires pendant qu'elle va aux toilettes, alors là oui nous allons réagir si un voleur veut s'approprier les affaires de l'inconnu.
Attention, nous avons, par habitude, tendance à nous baser sur une consistance comportementale et nous venons de nous apercevoir que cette consistance comportementale peut être modifiée par un fait extérieur.
Ce fait extérieur qui nous fait agir s'appelle l'engagement. Nous sommes engagés à faire…
Pour être engagé à, il suffit d'avoir dit "oui" à une demande incidemment extorquée :
" Voudriez-vous jeter un coup d'œil sur ma valise s'il-vous-plaît ?"
L'homme, animal social, ne peut que répondre oui.
Ce « oui » nous engage à une soumission librement consentie vis-à-vis de l'autre.
Autre exemple, employé par les hommes du monde :
En occident, il est coutume de se saluer en se donnant une poignée de main. Lorsque l’on ne se connaît pas, lors d'une première visite, en prospection, l'autre ne va pas forcement tendre la main, même si nous avançons vers lui avec le sourire. Alors ....
- avançons avec, dans la main droite un dossier, face à notre interlocuteur et à distance "sociale" changeons le document de main. (La distance sociale est environ la longueur de bras allongée de chacun, soit environ 1m50 à 2m)
Immanquablement, notre vis-à-vis tendra sa main droite répondant à notre sollicitation.
Implicitement il s'engage à.... une soumission librement consentie, même si ce geste se fait au niveau de l’inconscience : nous avons obtenu le premier "oui".
Pourquoi cette attitude ?
Les gens ont tendance à adhérer à ce qui leur parait être leurs décisions et donc à se comporter en conformité avec elles.
2° L'EFFET DE GEL
Essayons de changer l'attitude d'un groupe sur une habitude de faire :
a) par des réunions, des conférences.
b) par des meetings, un travail de groupe.
Les résultats seront plus probants dans le 2° cas parce que les individus, dans le groupe, ont été amenés à prendre la décision d'agir ainsi.
· Dans des meetings, les gens sont souvent des sympathisants de l’orateur et celui-ci a disposé ici ou là, dispersés au sein du groupe, des collaborateurs qui vont applaudir à des moments choisis afin de renforcer l’adhésion des participants : chaque applaudissement correspond à un renforcement. Pensons aux émissions TV soi-disant en direct : des panneaux « Applaudissez » apparaissent pour le public à des moments stratégiques mais sont non filmés et donc non visibles pour le téléspectateur.
· C'est ce que l'on appelle l'effet de gel, parce qu'il y a une idée d'adhérence à la décision: groupe, association, Parti Politique, Obédience maçonnique, groupe religieux, etc...
Et surtout lors de ventes organisées à domicile du type Tupperware, cette méthode est très redoutable. Tous les participants sont ouverts à la présentation des articles et chacun d’entre eux va renforcer l’envie d’acheter en jouant à celui qui achètera le plus.
3° UN CAS DE MANAGEMENT ABSURDE
Imaginons étudier un dossier en vue d'affecter un financement sur un projet :
Je veux étudier sa faisabilité, sa viabilité.
Je demande à une 1ère équipe d’étudier ce dossier. Elle me donne ses conclusions qui s’avèrent plus tard inconformes aux attentes initiales.
Je décharge cette équipe A du dossier pour le confier à une équipe B. Le responsable de l’équipe A explique et motive ses choix et décisions à l’équipe B. Les décisions de l’équipe B seront alors orientées. L’étude du dossier ne sera que légèrement modifiée pour arriver à une conclusion qui débouchera sur un résultat finalement similaire.
Il faut donc confier le dossier à une équipe C qui n’aura connaissance que du cahier des charges. C’est-à-dire qu’il ne connaitra pas les conclusions des équipes précédentes. Les conclusions de cette équipe C ne seront donc pas entachées de la subjectivité de l’équipe B. Les solutions qu’elle proposera seront originales et théoriquement plus conformes pour atteindre les résultats escomptés.
C'est pour cela qu'en marketing, les dossiers sont contrôlés par différentes équipes. C’est pour cette même raison qu'il est important pour un responsable de déléguer, afin d'avoir un œil neuf et objectif sur un dossier. A lui ensuite de prendre la décision qui lui parait la plus optimum. J’avais coutume de dire à un membre de mon équipe qui contestait une décision de rechercher trois autres solutions. Puis nous en parlions et ensuite nous prenions la bonne décision. Parfois, la sienne, parfois nous revenions à la mienne.
4° SACHONS DIRE NON A TEMPS
Etudions l'escalade d'engagement
a) Imaginons, que par erreur, nous ayons versé 1000 € pour un week-end à Naples, à Pâques et aussi 500 € pour Djerba pour le même jour. Impossible de se faire rembourser. Entre temps, nous apprenons que tous nos amis vont se retrouver à Djerba.
Que constatons-nous:
- que de toute façon nous avons dépensé 1500€, que nous allions à Naples ou Djerba, et de ce fait, nous devons choisir le projet qui nous apportera le plus de plaisir ? Il apparaît que l'individu reste sur une stratégie où sur une ligne de conduite dans laquelle il a le plus investi en argent, en temps, en énergie. Et ceci au détriment d'autres stratégies ou lignes de conduites plus avantageuses.
b) Imaginons que nous ayons un crédit de 1000 € pour jouer au Casino pour gagner le jack pot à raison de 10 € le jeton
- question : quand allons-nous nous arrêter ?
- constat : plus nous jouons, plus nous sommes appelés à jouer, persuadés que le prochain coup sera le bon.
c) Autre exemple d’engrenage : les collections distribuées au compte-goutte et en désordre telles que des maquettes à construire soi-même que l’on achète une fois par semaine. Si l’on commence à acheter les 1ers numéros on est implicitement amené à acheter régulièrement tous les numéros de la collection sous peine de perdre l’argent déjà investi. Le prix des 1ers numéros est très attractif puis l’engrenage mis en route on se sent dans l’obligation d’aller jusqu’au terme des numéros publiés.
En prospection, un commercial commence par faire en sorte que le prospect lui tende la main (comme nous l’avons vu plus haut). Il va ensuite lui poser des questions d’ordre général afin d’obtenir un premier OUI puis, petit à petit, obtenir une succession de OUI qui est, en fait, une escalade d'engagement.
En prenant une première décision d'engagement, nous entrons dans le piège abscons qui nous pousse à poursuivre. Plus l'escalade dure, plus il sera difficile d'arrêter. Un commercial vous dira toujours que c’est la 1ère ligne de commande qui est la plus difficile à obtenir. « Une fois le robinet ouvert il n’y a plus qu’à laisser couler. »
d) Imaginons que vous souhaitez faire un investissement – voiture, gros meuble, immeuble (appartement ou villa) – vous entrez dans le bureau de vente approprié : vous avez déjà en tête fait le pré-choix de votre futur investissement. Très rapidement, un commercial va vous inviter à vous asseoir afin « de mieux vous conseiller » sur votre décision d’achat potentiel. Ce geste ne vous engage, à priori, à rien. Vous êtes là pour vous renseigner d’abord et peut-être (?) acheter. Or, si l’achat n’est pas décidé présentement, vous êtes dans le même cas du vendeur qui aborde son prospect en changeant son document de la main droite vers la main gauche : en vous asseyant, vous reconnaissez implicitement que l’Autre – le commercial – a l’ascendant sur vous.
Et là…. commence l’escalade d’engagement. Il vous sera beaucoup plus difficile de vous extraire de votre chaise. Vous n’êtes plus debout pour changer d’attitude et partir, si à ce moment là, vous souhaitez vous replier ou changer d’avis.
Pour ne pas tomber dans un piège abscons, il faut absolument décider, DÉS le départ, le seuil à ne pas dépasser : heure limite, coût maxi, les éléments qui pour vous sont essentiels, etc. Ce seuil doit être pour vous, la ligne blanche à ne pas déborder impérativement sous peine de rupture de négociation. Jusqu’où ne pas aller trop loin ? Il primordial de connaître sa ligne de rupture. Ne pas oubliez non plus que si l’on accepte de gagner, on accepte aussi de perdre de temps à autre.
Je ne cherche jamais à vaincre mon adversaire, mais à saper sa confiance. Un esprit envahi par le doute ne peut se concentrer sur le meilleur moyen de gagner. Deux hommes sont égaux tant qu'ils ont la même confiance en eux-mêmes. Amiral Yamamoto.
Le négociateur recherche votre signature sur l’acte d’achat et vous, vous recherchez l’objet de votre choix et ce dans les meilleures conditions. Soit, vous partez gagnant – gagnant, soit vous partez gagnant pour le négociateur et perdant pour vous si vous n’avez pas obtenu ce qui vous parait, à vous, essentiel.
Reprenons le scénario gagnant pour lui et perdant pour vous ;
Vous êtes assis, le vendeur a déjà obtenu un certain nombre de oui qui correspondent à votre désir. Peut-être a-t-il aussi répondu à des objections. MAIS voilà : bien que cet objet du désir soit, dans l’idéal, celui que l’on vous présente, il ne correspond pourtant pas exactement à celui qui est acceptable par vous à ce moment précis, pour les critères essentiels – prix supérieur à celui prévu, forme, confort, orientation etc, etc... attention à votre ligne blanche. Vous doutez de l’opportunité de passer à l’acte d’achat ; il vous faut pourtant trouver le courage de vous lever pour dire non sans PERDRE LA FACE , même si vous ne savez pas exprimer votre refus ou exprimer vos réticences.
Vous vous trouvez alors face à deux éléments, alors que le négociateur poursuit sa démarche de signature finale :
1° Le négociateur vous a déjà répondu à des objections… pourtant il y a « le grain de sable », le détail, apparemment anodin, qui parasite l’idée de votre choix (clochette d’alarme inconsciente et difficile à cerner). Vous souhaitez donc mettre un terme à la négociation sans paraître ridicule. Vous êtes toujours assis à ce moment-là alors…
2° comment pouvoir se lever pour couper cours à cette négociation sans paraître impoli bien qu’exprimant un refus d’achat. Il faut trouver une raison acceptable justifiant ce refus.
Vous venez de perdre confiance en vous car vous n’êtes plus concentré sur l’essentiel de votre choix, il y a un nouveau parasite : se lever. Le fait de se lever vient en contradiction avec votre première acceptation de l’ascendance du négociateur : vous lui avez obéi et de ce fait, inconsciemment, vous le considérez comme un supérieur. Or le supérieur est semblable à l’archétype du père contre qui il est interdit de se rebeller. Souvent, dans ces cas là, nous trouvons des excuses à notre abandon afin de ne pas perdre la face, surtout face à nous-même ! Ou alors, tout aussi grave, nous développons un complexe de culpabilité et essayons de vivre avec….
Le vendeur a gagné sa commission à votre détriment.
5°CONDITIONS DE LA REUSSITE DU PIEGE ABSCONS
1° l'individu décide de s'engager dans un processus de dépense (en argent, temps, énergie...) pour atteindre un but donné.
2° que l'individu en soit conscient ou pas, l'atteinte du but n'est pas certaine. La réussite est toujours probable, jamais certaine.
3° la situation est telle que l'individu peut avoir l'impression que chaque dépense le rapproche davantage de son but, sans pour autant l’atteindre.
4° le processus se poursuit sauf si l'individu décide de l'interrompre.
Quelques exemples
J’ai une voiture d’occasion et, bien entendu, son grand âge m’oblige à des réparations de plus en plus nombreuses. Soit, mais cette situation est néanmoins moins contraignante que l’achat d’une voiture neuve. Quand ferais-je le calcul du prix de revient des réparations comparé au prix de la voiture neuve achetée même à crédit ?
- celui qui entreprend une analyse psychologique : celle-ci ne s’arrête que lorsque le patient le désire. Mais le désire-t-il ? Pourquoi ne pas poursuivre puisqu’à chaque retour de séance s’il découvre une satisfaction. L’addiction n’est pas loin.
- celui qui, poussé par son orgueil, "moi quand j'entreprends quelque chose, je vais jusqu'au bout", et de ce fait, poursuit jusqu’au « mur » qui l’arrête brutalement.
- celui qui dit «j'ai trop investi pour abandonner » et qui se retrouve à gérer une faillite…prévisible.
- celui qui poursuit sa participation dans une association, un mariage… stériles au delà du raisonnable.
Il est important d'être rationnel
de se remettre en cause
de se donner un laps de temps
de se fixer des limites
dans toutes décisions.
Si l’on reconnaît son erreur, si ayant étudié tous les aspects de la situation, on prend une décision déterminante, si pénible soit-elle, elle sera de moindre coût que la poursuite dans l’erreur. Toute erreur est d’ailleurs formatrice et donc bénéfique à terme. Il faut avoir le courage de savoir renoncer pour mieux rebondir plus tard.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que lorsque l'individu a pris une décision il met en œuvre son implication, il y a adhérence, il y a auto-justification et il peut expliquer le caractère rationnel de sa prise de décision.
Effectivement l'individu est piégé par sa décision initiale.
-d'où l'importance d'influer sur cette première décision et au négociateur de maîtriser son déroulement
- chacun peut et doit être individuellement responsable de sa décision propre : «j'arrête ou poursuis mon action »… au jeu, à ma participation dans cette association, dans ce mariage, par exemple.
Or remettre en question notre premier engagement a un coût psychologique et parfois aussi financier et organisationnel. C’est souvent trop lourd à porter, pense-t-on. Or il est parfois plus profitable de perdre un bras que de perdre le corps. Tous ceux qui ont souffert de la gangrène vous le diront.
Nous approchons de ce qu'il faut bien admettre comme une manipulation. Que celle-ci soit le fait d’une tierce personne, d’un événement ou d’un manque de clairvoyance et/ou de courage de notre part. Une première décision en entraîne une suivante, et ainsi de suite. Qu’elle soit traduite par des actes, d'une manière implicite ou explicite est un engrenage dont l’origine est une manipulation.
Imaginons par exemple qu'on vous extorque un renseignement (avez-vous l'heure s’il vous plait ?) afin de vous détourner de votre inaction pour vous mettre en condition d'accepter de payer un café par exemple, si le bus n’arrive que d’ici une bonne demi-heure. C'est exactement ce que nous allons faire avec notre client : nous allons lui demander des renseignements sur son entreprise (par une enquête par exemple) afin de lui extorquer une commande.
Maintenant, vous saurez dire oui ou non en connaissance de cause.